La plus ancienne forme d’écriture : Les gravures sur coquilles d’œufs d’autruche de Diepkloof

L’histoire de l’écriture, longtemps cantonnée à l’émergence de systèmes alphabétiques et pictographiques il y a environ 5 000 ans, pourrait bien commencer bien plus tôt. Une découverte archéologique récente remet en question notre perception des premières formes d’écriture humaine. En Afrique du Sud, à l’abri sous roche de Diepkloof, des chercheurs français et sud-africains, dirigés par Pierre-Jean Texier de l’Université de Bordeaux, ont découvert des fragments de coquilles d’œufs d’autruche gravés, datant de près de 60 000 ans. Ces gravures, interprétées comme une forme d’écriture primitive, seraient bien plus anciennes que l’art pariétal, longtemps considéré comme la première manifestation d’expression écrite.

Le site de Diepkloof et sa richesse archéologique

Depuis 1997, Pierre-Jean Texier et son équipe explorent le site de Diepkloof, un abri sous roche situé dans la région du Cap occidental en Afrique du Sud. Ce site est unique en son genre, avec des couches sédimentaires qui se sont accumulées sur une période de près de 80 000 ans, allant de 128 000 à 50 000 ans avant notre ère. C’est dans des niveaux datés de -65 000 à -55 000 ans que les archéologues ont découvert plus de 270 fragments de coquilles d’œufs d’autruche gravés. Ces coquilles, utilisées à l’époque comme récipients pour transporter de l’eau, ont été gravées avec des motifs géométriques répétitifs et standardisés.

Les gravures consistent en des lignes parallèles, entrecroisées, formant des motifs abstraits qui ne sont pas sans rappeler une forme d’écriture codifiée. Ces découvertes sont d’une importance capitale, car elles suggèrent que les humains utilisaient des symboles standardisés pour transmettre des informations, bien avant l’apparition des systèmes d’écriture connus.

Une forme d’écriture avant l’heure ?

Le terme «écriture» est généralement réservé à un système structuré de communication qui repose sur des symboles, souvent abstraits, représentant des sons ou des idées. Or, selon Pierre-Jean Texier, les motifs gravés sur ces coquilles d’œufs d’autruche remplissent certains de ces critères : leur standardisation, leur répétition et leur utilisation quotidienne témoignent d’un système de représentation symbolique. Selon Texier, ces gravures pourraient symboliser la propriété ou l’identité d’un groupe, chaque œuf ou fragment gravé servant de «signature» pour un individu ou une communauté. Ce système de marquage, s’il s’avère être une forme d’écriture, pourrait représenter un bond révolutionnaire dans notre compréhension de l’évolution des comportements humains.

Ce qui distingue ces gravures de simples motifs décoratifs est leur répétition régulière et leur organisation. Les coquilles ne sont pas gravées au hasard ; les motifs sont soigneusement réalisés, probablement en respectant des conventions partagées par le groupe humain à l’époque. Cela laisse penser que les individus qui ont produit ces gravures avaient une compréhension commune de leur signification, ce qui pourrait être la preuve d’un langage visuel complexe ou d’un système d’écriture précoce.

Comparaison avec les premières formes d’art pariétal et d’écriture

L’art pariétal, tel que celui trouvé dans les grottes de Lascaux en France ou d’Altamira en Espagne, remonte à environ 40 000 ans et est généralement considéré comme l’une des premières formes d’expression symbolique humaine. Toutefois, les gravures découvertes à Diepkloof sont bien plus anciennes, datant de 60 000 ans. Si ces motifs représentent effectivement une forme d’écriture, cela signifierait que la capacité humaine à créer des systèmes de codification visuelle est beaucoup plus ancienne qu’on ne le pensait.

De plus, ces gravures de Diepkloof précèdent également les premiers systèmes d’écriture cunéiforme de Mésopotamie ou les hiéroglyphes égyptiens de près de 55 000 ans. Alors que ces derniers sont des systèmes d’écriture plus complexes, les motifs de Diepkloof pourraient représenter une forme embryonnaire de communication visuelle, un stade préliminaire dans l’évolution vers des systèmes alphabétiques et logographiques plus élaborés.

Implications pour l’histoire de l’écriture

Cette découverte bouleverse notre compréhension de l’émergence de l’écriture et de la communication symbolique chez les premiers humains modernes. Jusqu’à présent, les premières formes d’écriture étaient attribuées aux civilisations du Croissant fertile, il y a environ 5 000 ans. Cependant, les gravures de Diepkloof suggèrent que les premiers humains avaient déjà développé des systèmes symboliques sophistiqués bien avant cela.

L’hypothèse selon laquelle ces motifs gravés représentent une forme d’écriture soulève des questions fascinantes sur la cognition humaine à cette époque. Comment ces communautés ont-elles développé ces systèmes de marquage ? Quelle était leur fonction exacte ? Comment ces premières tentatives d’écriture ont-elles influencé l’apparition des systèmes d’écriture ultérieurs ? Les archéologues continuent d’explorer ces questions, espérant découvrir des fragments plus anciens pour mieux comprendre l’évolution des comportements symboliques.

Perspectives futures

Les archéologues espèrent que la poursuite des fouilles à Diepkloof révélera encore plus d’informations sur les pratiques des premiers humains modernes en Afrique. Chaque nouvelle découverte sur ce site pourrait nous en apprendre davantage sur l’évolution des comportements humains complexes, notamment en ce qui concerne la communication symbolique et l’écriture.

Il est également possible que d’autres sites en Afrique et ailleurs révèlent des découvertes similaires, fournissant ainsi un tableau plus complet de l’émergence de l’écriture dans différentes régions du monde. En attendant, la découverte des coquilles gravées de Diepkloof constitue un tournant majeur dans notre compréhension des premiers systèmes d’écriture.

Conclusion

Les gravures sur les coquilles d’œufs d’autruche de Diepkloof sont bien plus qu’un simple artefact archéologique ; elles pourraient représenter la plus ancienne forme d’écriture jamais découverte. Si ces gravures sont effectivement une forme d’écriture, elles repoussent de 55 000 ans la chronologie de l’écriture humaine. Cette découverte remet en question de nombreuses hypothèses sur l’évolution de la communication humaine et ouvre de nouvelles perspectives sur la sophistication des premiers groupes humains en Afrique. Il faudra encore des années de recherche et de nouvelles découvertes pour confirmer ou affiner ces hypothèses, mais une chose est certaine : la préhistoire continue de nous révéler des surprises qui bouleversent nos certitudes.